XUMAN ET KEYTI ÉGRATIGNERONT ENCORE TOUT LE MONDE

C’est sans doute dans l’esprit de la maison que de se montrer à la fois cynique et iconoclaste, aussi mordant qu’impertinent, incisif ou pince-sans-rire, et le tout sans une once de mauvaise conscience. Ou alors Xuman et Keyti, le drôle de duo à qui l’on doit la conception du Journal Télévisé Rappé (JTR), ne se contentent-ils que d’une sorte de culpabilité toute feinte, de quelque chose qui ne serait que tout à fait formel finalement. Car alors que dans la soirée de ce mardi 19 mai ils lançaient la troisième saison de leur parodie de JT au Théâtre National Daniel Sorano, Xuman fera surtout mine de s’excuser : pour un mot déplacé ou pour quelque parole blessante, mais avec assez de désinvolture et en pouffant de rire, pour assumer de ne pas avoir pas le moindre regret. Sur le ton de  la bravade, Xuman et Keyti promettent d’ailleurs qu’ils n’en feront qu’à leur tête, avec l’air de dire que l’on devrait pouvoir s’attendre au pire. Le ton est donné.

 

Xuman et Keyti, Makhtar Fall et Cheikh Sène à l’état-civil, égratignent tout le monde et n’épargnent personne, et leur ligne éditoriale se résumerait presque à cette tautologie. Tout y passe : les Etats « soumis » d’Afrique qui se contentent de jouer les enfants sages, histoire de ne pas perdre l’estime d’un certain « Papa Obama ». Ou alors s’en prennent-ils volontiers aux Accords de partenariat économique (APE) qui ne seraient finalement que l’expression d’une « Afrique perdante encore », « après l’esclavage et après la colonisation ». 

 

Xuman et Keyti sont plutôt bons à ce jeu-là : ils détournent quasiment tout. Les sigles pompeux, les titres à succès, comme les tubes planétaires. Leur méthode est simple est astucieuse : coller leurs paroles aigres-douces sur un fond musical qui ne leur doit rien. Ce qui donne à leur discours une légèreté caricaturale et instrumentalisée, et une sorte de permis de rire à toute épreuve. Aucun sujet n’est trop grave pour cela…C’est le cas par exemple lorsqu’ils se permettent quelques emprunts à « Umbrella » de la chanteuse Rihanna, pour parler d’Ebola, cette « maladie tueuse d’Africains ». 

 

Idem lorsqu’ils s’approprient, avec la bénédiction du phénomène belge Stromae qui apparaît à l’écran, un titre comme « Formidable ». A la place de l’ivrogne paumé du clip, on retrouve Karim Wade, dans le rôle du prince déchu, la cravate de travers, interprété par Xuman. Le JTR consacre d’ailleurs plusieurs séquences au fils de Wade, un « enfant gâté » qui n’a rien volé finalement, et qui s’est seulement contenté de prendre que ce que papa lui avait donné, avec à la clé un procès aux allures de « feuilleton brésilien ». Pour nos deux drôles de bonhommes, comme le « Premier Gaou » de Magic System, Karim Wade n’est en fait que « le premier voleur », allusion sans doute aux autres dossiers qui dorment encore dans les tiroirs de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).

 

On retrouve encore, dans cette parodie de JT, quelques éditions spéciales avec notamment le retour à Dakar de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade. Xuman et Keyti reviennent aussi sur les sanglants attentats qui ont secoué Paris en janvier dernier et sur la polémique qui suivra, lorsque le chef de l’Etat Macky Sall participera lui-même à la marche organisée en hommage aux victimes de cette tuerie, avec parmi elles quelques-uns des dessinateurs du très controversé « Charlie Hebdo », l’hebdomadaire satirique français. 

 

Xuman et Keyti s’amusent encore à débusquer les mauvais plans et autres coups de bluff de nos opérateurs téléphoniques, lorsqu’ils ne s’en prennent tout simplement pas aux cubes et autres bouillons qui se retrouvent facilement dans nos assiettes et se mangent à toutes les sauces.

 

Si les deux compères, et l’équipe qui les accompagne, prennent un malin plaisir à tout détourner en jouant sur les mots, ils n’inventent rien. L’actu est une contrainte, mais c’est bien la seule qu’ils s’imposent. Et même lorsqu’ils s’y collent, ce n’est ni classique, ni orthodoxe…Et aujourd’hui dit Xuman, le concept du JTR « n’appartient plus au Sénégal ». Quand on sait qu’il a allègrement enjambé les frontières. Sur les images, on verra même quelques versions étrangères de ce programme qui assume son côté « mélange de genres » : que ce soit en Côte d’Ivoire ou en Tunisie. Et dans le rôle des « journalistes-maison » ou des correspondants locaux du JTR sénégalais, on retrouvera des artistes comme Matador, Moona Yanni, Nitdoff, PPS, Gaston etc. Des « journalistes-intrus » comme dirait le slameur Oumar Niang alias Minuss, co-auteur lui aussi d’un journal…slamé.